Les conditions de l’autorité de l’encadrement

Le philosophe Robert Damien, spécialisé dans la philosophie politique, qui a notamment publié Le Conseiller du Prince de Machiavel à nos jours, (PUF, 2003) affirme que l’autorité, qui n’est pas la tyrannie et implique une obéissance qui n’a pas besoin du recours à la contrainte, n’est pas une « capacité » inhérente à celle ou celui qui dirige ou encadre, mais un « crédit » accordé par celles et ceux qui acceptent d’obéir en y consentant plus ou moins librement. L’autorité comprend selon lui quatre réquisits, ou conditions, qui peuvent être appliquées à l’activité de direction et d’ encadrement . Cela ne veut pas dire qu’il y ait des formes d’autrité totalement « réussies », il n’y a pas la recette du « bon chef ». Dire qu’à l’autorité il lui « faut » ces quatre réquisits n’est pas proposer un idéal moral (un « devoir être »), c’est analyser ce qui est et a été.

  1. Une centralité excentrique : il faut connaître tout sans être d’aucun, savoir tenir tous les langages, sans y être identifié. Cette excentricité centrale signifie être à la fois dedans et dehors. Car si le chef est identifié à l’une des composantes il n’a pas d’autorité, même pas de la part du groupe le plus fort. Il doit avoir son style propre.
  2. Le primat du système des relations : c’est l’autre qui vous donne l’autorité, c’est de l’autre qu’il faut se faire entendre, ce qui suppose l’écoute. L’autorité n’est pas un « avoir », elle peut se démonétiser, on peut perdre son crédit.

Il faut s’adresser à lui en comprenant ses préoccupations, en dégageant chez lui des « capabilités », ce qu’il ou elle peut et veut faire, pour créer chez l’autre la volonté d’agir. Ceci implique notamment que l’autorité « n’a pas de sexe », même si les stérétypes masculins et féminins (ce qu’un homme ou une femme dirigeant-cadre sont supposés « être » ou « faire » aux yeux des autres), n’y jouent pas un rôle très important).

  1. Une esthétique de l’autorité, qui est aussi une éthique : être beau, bon, vrai, être dans le redressement (comme Socrate à Delios) dans des situations de danger. Cela signfie avoir la physique de l’emploi, une manière de parler, pas tout le temps mais dans l’exercice de l’autorité, une certaine sérénité, une gravité, une allure : pas de laisser aller. Cela aussi transcende le genre.

Dans le rugby, cela se pratique dans le discours d’avant match, où il faut parler à tous en étant compris par chacun, dans un exerce d’éloquence où l’on fait usage de la voix et du corps, où l’on représente une incorporation des valeurs de l’équipe.

  1. Une rationalité stratégique de l’action dans laquelle on assume les conséquences de ses choix. Le chef doit vouloir, donc prévoir : s’il n’assume pas l’autorité devient inopérante.

Cela veut dire aussi toujours garder des marges de manoeuvre, ne pas être pris dans la nécessité, avoir un coup d’avance, une porte de sortie, un scénario alternatif, un 2ème fer au feu, sinon la décision prise devient un piège. Un grand joueur ne joue jamais « à fond », il a toujours une réserve pour aller « plein pot », et surprendre.

Il faut donc toujours garder une certaine distance par rapport à ses décisions, s’adapter aux conséquences de ses choix, afin de garder l’aisance qui sied à l’autorité.